Il est des moments où un auteur, fût-il modeste, doit prendre sa plume, non pour écrire son prochain roman, non pour signer un contrat, pas plus que pour parapher le chèque de son loyer, mais pour dire qu’il ne cautionne pas les dérives liberticides de la société dans laquelle il demeure. Il ne s’agit pas d’engagement ni de militantisme, seulement de survie, car lorsque les libertés s’effondrent dans un pays, le créateur finit toujours par en être une des premières victimes.

Alors, il y en a beaucoup qui tendent à disparaître de nos jours, toujours sous un bon prétexte, «  pour notre bien  », la même explication que le parti communiste chinois pour justifier les privations de libertés que l’on observe au pays du Grand Timonier. Mais il y en a une qui en ce jour mérite plus que les autres d’être défendue dans cette tribune, car outre sa survie menacée, le fait même que sa survie soit menacée engage toute la crédibilité de nos institutions républicaines. Je veux bien sûr parler de l’obligation vaccinale, et donc de la remise en cause de la liberté fondamentale de disposer librement de son corps.

Il s’avère que depuis plusieurs jours, il y a une intensification des pressions médiatiques et politiques (ces derniers sont de plus en plus cul et chemise, on l’aura noté) en faveur de l’obligation vaccinale. Côté médiatique, on retiendra l’aberrante sortie d’Emmanuel Lechypre, journaliste économique dont la tirade gestapiste témoignerait d’une peur irrationnelle induite par la psychose ambiante s’il n’avait déjà été pris par la patrouille pour flagrant délit de racisme anti-asiatique. On retiendra les «  brebis galeuses  » d’Apolline de Malherbe à propos des non-vaccinés, ou encore ce fantastique «  Il faut leur rendre la vie difficile » d’un Thomas Porcher à propos des mêmes, ce qui rejoint peu ou prou ce qu’avaient dit avant lui certains «  philosophes  » à l’image de Michel Onfray. On notera que les philosophes ne sont plus des Socrate et des Sénèque, et qu’ils ne meurent plus pour leurs idées mais veulent imposer aux autres leurs propres choix. Sûrement cela explique-t-il les résultats calamiteux du bac philo 2021. Du côté médiatique donc, il y a une débauche de propos en faveur de la vaccination obligatoire ou contrainte, et l’on voit une subtilité étonnante dans ces derniers, tant que même Chuck Norris apparaît comme un modèle de modération en regard. Ça tient de l’exploit.

Du côté politique, je ne reviendrai pas sur les propos du groupe UDI, de Claude Malhuret, sénateur de l’Allier qui rappelle que l’Auvergne peut inspirer le meilleur comme le pire, mais davantage sur ceux, récents, de notre 1er ministre qui, en réclamant l’ouverture du débat sur l’obligation vaccinale, pour arriver selon toute vraisemblance à une loi en septembre, a tout simplement contredit les propos de son propre président tenus quelques mois plus tôt. Propos réitérés à plusieurs reprises et lancés au peuple par le populaire médium des réseaux sociaux sur lesquels on imagine souvent que tout passe en coup de vent… Erreur  ! La vaccination ne sera pas obligatoire, ainsi a parlé le président de la République, mais de la République française, et comme l’on sait que le président de la République française est viscéralement né pour ne pas tenir sa parole… Aussi, ce qui hier n’était pas obligatoire pourrait le devenir demain, ce qui sans surprendre les fins connaisseurs de la politique «  made in France  », et même les moins fins d’ailleurs, fait néanmoins le même effet que de se faire arracher une dent. On sait que ça va être douloureux, on sait qu’on va avoir une bouche de hamster, et pourtant, même en anticipant, ce n’est pas moins douloureux. Douloureux si l’on croit aux droits fondamentaux, douloureux si on estime les acquis démocratiques, douloureux si l’on est attaché à la parole donnée, ce qui même au sein de la mafia (la vraie, pas la politique) est un fondement qui ne souffre aucune entorse.

Bref, les médias comme les politiques (à quelques exceptions près) sont main dans la main pour s’attaquer aujourd’hui à la liberté fondamentale de disposer librement de son corps. Alors, ils ont plein de bonnes raisons : civisme (comme si user de sa liberté, premier mot de la devise française était incivil  !), il n’y a pas de risque mais un grand bénéfice (on se demande bien pourquoi les laboratoires se sont donc désengagés de leurs responsabilités), faut relancer l’économie (mais n’aurait-elle pas été mise à l’arrêt par ceux-là mêmes qui aujourd’hui me demanderaient de la relancer  ?), on va pouvoir voyager (sûrement pour faire oublier que l’on est sédentaire 330 jours dans l’année). Enfin, ils ont des tas de bonnes raisons, et ces mêmes gens exigent que vous leur donniez des raisons valables de ne pas vous faire vacciner. C’est de bonne guerre  ! Mais en fait, il n’y a qu’une et une seule bonne réponse : le droit d’user d’une liberté fondamentale. Alors bien évidemment, la réplique en retour c’est qu’il y a déjà des vaccins obligatoires, ce qui outre le fait qu’on puisse discuter philosophiquement cette obligation, est un argument fallacieux. Comment peut-on comparer l’obligation vaccinale des nourrissons (moins de 2 ans) et donc sans possibilité d’émettre un consentement libre et éclairé avec celle d’un adulte majeur et… enfin d’un adulte  ? L’obligation vaccinale existe pour certaines professions, mais celui qui s’y engage le sait à l’avance, ce n’est pas une surprise, il n’est pas pris en traître comme certains le voudraient pour les soignants déjà en poste et sans aucun doute d’autres professionnels en contact avec du public. Puis, n’est-ce pas contradictoire que des soignants se fassent vacciner pour «  protéger  » leurs patients vaccinés lorsque ce vaccin est efficace à 95 pct (selon les laboratoires), quand l’obligation vaccinale n’existe pas pour la grippe dont l’efficacité du vaccin est de 65 pct  ? Enfin bref, il n’est même pas besoin d’en venir au ratio de létalité entre la covid et le tétanos.

Ce qui semble échapper à certaines «  paroles médiatiques  », c’est que le rôle d’un État est de permettre à tous d’exercer ses libertés fondamentales, celles qu’il s’est engagé à respecter par le droit national, mais aussi par les accords internationaux qu’il a signés, les organisations dont il est membre et simplement par l’héritage dont il est le garant. Le mot liberté n’est pas en tête des frontons français, car ça fait bien, car c’est un joli mot qui rime avec égalité et fraternité. Il est en tête des frontons français, car en chaque chose qui doit s’accomplir en France, la mire de la liberté doit être la première de toutes. La vaccination doit être libre et consentie librement, ainsi il en va dans un pays de droit respectueux des libertés fondamentales. On a le droit de se faire vacciner, on a le droit de refuser de l’être, et ce droit ne souffre aucune entrave, aucune menace, aucune pression, ni dans un sens, ni dans l’autre. En venir à voir des ministres de France manier le chantage, des métropoles manier la carotte (ou le vélo  !), et un 1er ministre cracher sur les paroles d’un président pour contrecarrer l’application d’un droit strict et inviolable est pour le moins une aberration, sinon une honte indélébile. Au demeurant, lorsque le taux d’abstention à une élection rejoint le pourcentage de défiance des Français à l’égard des médias classiques et que ce chiffre concerne les deux tiers de la population, cette dernière leur fait bien comprendre la situation. Pourtant, même un message si clair rentre par une oreille et sort par l’autre, à croire que le message des Français leur parvient en langue étrangère.

Cette tribune n’a pas pour vocation de lutter contre la vaccination ni de l’encourager. Dans un débat caricaturalement réduit à une opposition pro/antivax, elle vise seulement à rappeler que le premier des civismes est de respecter les fondements de son pays, et que le premier fondement de la France est la liberté. Liberté de conscience et liberté de disposer de son corps sont inviolables, car l’on sait fort bien jusqu’où la moindre cassure dans cette inviolabilité peut conduire. Que serait un pays où nous ne serions plus libres de décider pour nous ni de disposer de nos corps  ? Par une infime blessure, le pus a tôt fait de s’installer et de nécroser ce que l’on pensait aussi pérenne et fiable que le monde.

Avant d’en venir à la conclusion de cette longue tribune, il convient de dire qu’un porte-parole du gouvernement a annoncé que cette obligation viserait à préserver le pays d’une sorte de «  guerre civile  ». Mais si guerre civile il y a, c’est parce que des libertés auront été bafouées, et au-delà des libertés, la stricte égalité des citoyens par des mesures absconses en pays libre. Le confinement, le couvre-feu, le port du masque obligatoire, le pass sanitaire, toutes ces mesures qui ont rompu des équilibres — car nous ne sommes pas tous égaux face à elles —, ont ébranlé les piliers de notre société depuis un an et demi. Jamais ce travail de sape n’aurait dû être accompli, mais il l’a été, et s’il y a un coupable, c’est le sapeur. Quand un pays bafoue ses fondements, il doit s’attendre à un séisme. Cette crise a été celle de l’abandon de la France, de ce qui fait la France, et si le courant l’emporte, elle ne pourra s’en prendre qu’à ses capitaines.

Il est temps à présent de conclure cette tribune déjà longue en soulignant que la fraternité ce n’est pas imposer ses vues aux autres mais marcher ensemble malgré les différences. Marcher dans un même but élevé qui dépasse les clivages. Au prétexte d’une interprétation faussée de la fraternité, certains veulent sacrifier les libertés et l’égalité. Soit, mais pour ma part, je serai toujours du côté de ceux qui les estiment essentielles à la France, et quoiqu’il arrive demain, ceux qui ne le pensent pas me trouveront sur leur chemin.

Alexandre Page